Journal d’une sorcière enracinée
Il y a des jours où je n’ai pas besoin de poser une question. Je n’ai même pas besoin de tirer les cartes, d’écouter les astres, de chercher un signe. Je marche. Je me tais. Et la forêt me parle.
Elle ne le fait pas avec des mots.
La forêt ne parle pas notre langue, elle parle la sienne, faite de craquements de branches, de bruissements de feuillages, d’odeurs d’humus et de silence vibrant. C’est un murmure que l’on sent d’abord dans le corps. Un ralentissement. Un souffle plus profond.
Une pression douce qui dit :
« Tu peux t’arrêter maintenant. Tu es ici. Je suis là. »
La forêt ne me répond jamais comme je l’attends
Parfois, je pars avec une intention. Une question dans le cœur, un tiraillement dans l’âme.
Et je crois que la forêt va me répondre directement comme un oracle.
Mais elle ne le fait jamais ainsi.
Au lieu d’un oui ou d’un non, elle me donne un cerf qui traverse mon chemin, une feuille qui tombe soudain au creux de mes mains, un chant d’oiseau qui monte juste au moment où je voulais pleurer.
Elle me parle en présences.
Elle me parle en sensations.
Elle me parle en moi.
La voix du sauvage
Il y a dans la forêt une voix que je reconnais, même si je ne peux pas la nommer. Elle est brute, nue, sans fioriture. Elle ne me caresse pas dans le sens du poil, elle me réajuste. Elle me replace.
Elle me dit :
« Tu n’as pas besoin de tout comprendre. Tu n’es pas perdue. Tu es en marche. Tu es un nœud dans ma trame. Pas au-dessus. Pas en-dehors. Juste là. »
Elle me rappelle que je fais partie du monde vivant, que mon chemin n’est pas séparé du leur. Les arbres ne me jugent pas, mais ils me voient. Et cette vision, elle est sans mensonge.
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Quand je suis trop pleine, elle m’ouvre
Il y a des jours où je suis trop tendue pour entendre. Trop pleine de pensées, trop remplie de devoirs, de fatigue, de doutes. Alors je vais là-bas. Je pose mes mains contre une écorce rugueuse. Je m’assois à même le sol. Et j’écoute.
Parfois, je n’entends rien. Mais je sens. Je sens que quelque chose descend. Comme une racine qui entre en moi. Comme un silence qui me vide sans m’effacer. Comme une pluie d’aiguilles de pin sur mes épaules fatiguées.
Elle ne me dit rien, et pourtant, je repars plus légère.
Quand je suis trop vide, elle me remplit
Et puis il y a les jours d’hiver en moi. Ceux où je me sens creuse, flétrie, invisible. Ceux où j’ai perdu ma voix, ma magie, ma foi.
Alors la forêt me tend un petit miracle : un bourgeon au milieu du froid, un vol de corneilles qui tournent dans le ciel comme un sortilège, une lumière qui filtre à travers les branches comme un espoir.
Et je me rappelle :
Je n’ai pas disparu. Je suis simplement en gestation. Et la forêt, elle, continue de chanter.
La forêt ne me parle pas seulement : elle m’apprend à parler
Elle m’apprend une langue faite de présence. Une langue sans possession, sans performance, sans promesse. Elle m’apprend à écouter avec la peau. À parler avec les gestes. À bénir sans mots.
Et quand je ressors du bois, je porte encore un peu d’elle en moi. Je parle plus lentement. Je vois les choses différemment. Je sens mes gestes s’ancrer.
La forêt me parle, et ce qu’elle me dit me transforme.
Pour celles et ceux qui écoutent encore
Si toi aussi, tu as ce lien, si tu marches parmi les arbres en cherchant une caresse invisible, un écho de toi-même, alors je sais que tu comprends.
Nous sommes nombreux.ses à avoir été initié.e.s non pas dans des temples de pierre, mais dans les clairières, sous la pluie, au bord d’un ruisseau, au creux des racines d’un chêne ancien.
Et si tu n’as jamais entendu la forêt te parler, peut-être faut-il juste… T’arrêter. T’asseoir. Fermer les yeux. Et ne plus demander.
Juste être là. Elle finira par te parler. Et ce qu’elle te dira, personne d’autre ne pourra te le transmettre.
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